Image : goodstudio / 123RF
Alors que les théories du complot prennent un espace grandissant dans le paysage médiatique, quatre experts basés en France et au Québec se sont penchés sur ce phénomène qui fascine autant qu’il inquiète lors du panel virtuel « Les théories du complot : comment en parler » organisé par le CQÉMI le 5 mai 2021 dans le cadre de la Semaine de la presse et des médias.
Le créateur de la chaîne YouTube française DeBunker des Étoiles Sylvain Cavalier rappelle que les théories du complot peuvent émerger en lien avec n’importe quel événement. « Ce n’est pas une simple opposition aux gouvernements, c’est un mode de pensée systématique », révèle-t-il lors du panel animé par Eve Beaudin.
David Morin, professeur titulaire à l’Université de Sherbrooke et cotitulaire de la Chaire UNESCO en prévention de la radicalisation et de l’extrémisme violents, abonde dans le même sens. « C’est penser tout phénomène social en faisant le postulat qu’il y a nécessairement un groupe de personnes malveillantes qui conspirent, soit pour assouvir leur soif de pouvoir soit pour gagner de l’argent », explique-t-il.
L'une des caractéristiques fondamentales des théories du complot est que l’on retrouve toujours une cause unique – comme les Illuminatis, les Reptiliens, Bill Gates, etc. – à un phénomène complexe. « Il faut que ce soit simple, parce que dès que l’on introduit des nuances, tout à coup, la théorie du complot ne fonctionne plus aussi bien », estime Pascal Lapointe, journaliste scientifique et rédacteur en chef de l’Agence Science-Presse.
Portrait d’un conspirationniste
Contrairement à certaines croyances populaires, les adolescents et les jeunes adultes ne sont pas les seules cibles du conspirationnisme. David Morin rapporte qu’environ 6 % à 7 % de la population canadienne croit à l’ensemble des théories complotistes, selon divers sondages d’opinions, et que ce sont majoritairement des personnes de 18 à 50 ans qui y adhèrent. Presque autant d’hommes que de femmes croient à ces théories, toujours selon ces sondages.
S'il n’existe pas de portrait type du conspirationniste, le professeur Morin observe néanmoins de très forts liens entre l’adhésion aux théories du complot et la consommation médiatique sur les réseaux sociaux, ainsi que certaines dispositions psychologiques, dont l’anxiété et le fort sentiment d’appartenance à un groupe menacé et stigmatisé.
Pourquoi y croire ?
« Un récit conspirationniste peut être extrêmement rassurant face à un monde que l’on ne comprend pas et à des situations extrêmement tendues et dramatiques », soulève la coordonnatrice académique du CLEMI, Karen Prévost-Sorbe. Pascal Lapointe note lui aussi le côté rassurant, mais également attrayant de ces théories. « C’est séduisant, l’idée que l’on peut expliquer le cours du monde par des arguments simples. C’est aussi séduisant d’avoir le sentiment de maîtriser quelque chose que les autres ne maîtrisent pas. »
Le journaliste scientifique remarque que différents biais peuvent mener un individu à croire à une théorie du complot. « Le biais de confirmation, le biais de popularité, bref, toutes ces causes pour lesquelles les gens tombent dans le panneau d’une fausse nouvelle, ce sont souvent les mêmes qui font que les gens croient à telle ou telle théorie complotiste. »
Appel à la bienveillance
Sylvain Cavalier rappelle qu’il est important de différencier les gens qui croient aux théories de ceux qui les créent et les diffusent. Les créateurs de ce type de contenu sont généralement à la recherche d’argent, d’influence ou ont de fortes motivations idéologiques.
David Morin déplore pour sa part le regard méprisant que beaucoup de personnes portent sur les conspirationnistes. « Il faut arrêter de regarder la pensée conspirationniste comme une bizarrerie qui serait extérieure à notre société, affirme-t-il. Il faut plutôt s’intéresser à ce qu’elles nous révèlent sur notre société, et je ne suis pas sûr qu’on soit prêt collectivement à aller là. »
Il conclut en conseillant de tendre la main à ceux qui croient aux théories du complot et de faire preuve de bienveillance à leur endroit plutôt que d’essayer de les victimiser à nouveau. Alors que la discussion avec des personnes croyant durement aux théories du complot peut être difficile, le balado Dépister la désinfo propose différentes pistes pour faciliter ce dialogue, en plus d'offrir de précieuses informations sur la désinformation et les théories du complot.
Dans le cas où le dialogue est inconcevable, il est possible d’aller chercher de l’aide auprès d’organismes québécois comme le Centre de prévention de la radicalisation menant à la violence et l’Équipe polarisation. Ces organismes visent à prévenir la radicalisation et les actes à caractère haineux et à venir en aide aux personnes s’étant radicalisées et leur entourage. En France, le Secrétariat général du Comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation et le Centre de ressources pour la prévention des radicalités sociales font un travail semblable.
Pour voir ou revoir le panel « Les théories du complot : comment en parler », cliquez sur le lien suivant: https://youtu.be/AwU1rn9nwKQ |